Laïcité et Constitution européenne

Publié le par Gabrielle

Quelques semaines avant le referendum sur le projet de Constitution européenne, ceux attachés à la laïcité  n'ont de cesse d'exposer quelques extraits du texte: ceux-ci semblent mettre à mal notre principe tout juste centenaire (avec la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat)  au sein d'une Europe où la laïcité à la française aurait du mal à trouver sa place.
Il s'agit d'abord du préambule, qui a valu bien des débats sémantiques et des pressions (pape, conférences épiscopales etc) reprochées aux uns et aux autres, avant de s'entendre sur la version suivante:

"s'inspirant des héritages culturels, religieux et humanistes de l'Europe, à partir desquels se sont développés les valeurs universelles que constituent les droits inviolables et inaliénables de la personne humaine, ainsi que la liberté, la démocratie, l'égalité et l'Etat de droit;"

Certains critiquent le fait qu'on accorde à la religion (même pas aux églises), le statut de co-fondateur, co-facilitateur de l'émergence des valeurs les plus importantes de nos sociétés occidentales.

L'article I-52 donne aussi à réfléchir:

"3. Reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l'Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces églises et ces organisations".

J'ai laissé de côté la référence (l'alinea 1) aux associations et communautés religieuses, placées avec les églises: autre aspect conflictuel. Concernant l'alinea 3, les questions qu'on peut se poser ne manquent pas: quelles seront les thèmatiques abordées? dans quelles perspective? Enfin, ce "dialogue" entre le politique et le religieux ré-ouvre la porte de la sphère publique à un sentiment religieux qui, dans la tradition laïque française, n'avait sa place qu'in petto.

Pour terminer, c'est certainement l'article II-70 qui entraîne le plus de protestations:

"Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites."

Evidemment, chacun de penser à la jeune loi de mars 2004, interdisant le port de signes ou tenues manifestant une appartenance religieuse. Y a-t-il incompatibilité entre la loi française, Contitution comprise, et le texte européen? Doit-on s'attendre à une jurisprudence européenne donnant raison aux justiciables venus trouver auprès d'elle la légitimisation d'une foi revendiquée et portée publiquement? Certains le croient.

D'autres, au contraire, ont un discours plus rassurant: s'appuyant sur la décision du Conseil constitutionnel du 19 novembre 2004 (saisi par le président de la Réublique aux fins d'établir si la ratification de la Constitution européenne exigeait une révision de la Constitution française), ils avancent que l'article II-70 a été commenté par les rédacteurs de manière à écarter toute crainte de voir la laïcité à la française être balayée. Selon ces derniers, cet article a la même portée et les les mêmes limitations, dans son exercice, que son homologue article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme: à savoir que les restrictions apportées à ce droit sont définies par la loi pour défendre la sécurité publique, la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou la protection des droits et libertés d'autrui. La jurisprudence de la Cour européenne de Strasbourg a toujours replacé les cas qui lui étaient présentés dans le cadre et en harmonie avec la tradition constitutionnelle du pays concerné.

Inquiétudes fondées? il est difficile de répondre aujourd'hui. Ce qui fait la souplesse d'un loi, sa vie, son adaptabilité à la société en mouvement, la jurisprudence, cette jurisprudence peut maintenir un statu quo ou fragiliser cette laïcité si chère à beaucoup.

Publié dans citoyenneté

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S
Demain dimanche, deux beaux cadeaux à offrir ;<br /> <br /> - le premier pour ma maman adorée ;<br /> <br /> - le second - un NON utile à la France et à l'Europe. Un NON qui sauvegardera une France plus que millénaire dans une Europe qui ne connaîtra pas la constitutionnalisation de l'échec mais au contraire une dynamique européenne du changement. Demain, dire NON à l'échec, c'est le seul vote utile et positif, le seul vote qui rendra l'Europe efficace!
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M
Bien qu'agnostique (ou parce que...), je reste très méfiant envers le concept de laïcité, terme extrêmement imprécis, propice à toutes les manipulations. Au hasard, quelques piste de "définitions":<br /> * état de qui n'est pas religieux (on est bien avancé)<br /> * non-immixion réciproque du religieux et du domaine public (pourquoi alors personne ne s'est-il scandalisé du forcing de Sarkozy lors de la création du CFCM ?)<br /> * non-immixion du religieux dans le domaine public (pourquoi le lobby religieux serait-il ainsi discriminé ? Est-ce que la religion, ça pue plus que les lobbys économiques, les partis politiques, le communautarisme gay ou autre ?) Est-ce que ça, par exemple, ça a commis plus de crime plus de crimes que le communisme ou le nazisme ? Est-ce que ça manipule plus que les autre lobbys déjà cités ?<br /> * conception américaine de non immixion du politique dans le religieux<br /> * indifférence à l'égard du fait religieux (=erreur politique, car le politique doit pouvoir brasser l'ensemble des faits sociaux)<br /> * neutralité à l'égard du fait religieux (ça veut dire quoi ?)<br /> * méfiance de principe à l'égard du fait religieux<br /> * athéisme=religion d'état (style anciens pays communistes)<br /> "privatisation" des services religieux, auparavant dans le domaine public (subsistance de l'Alsace-Lorraine)<br /> * non-reconnaissance des religions (comment refuser les signes religieux si on n'accepte pas l'existence de religions)<br /> <br /> <br /> La question du voile aurait pu être règlée par la mise d'une loi interdisant les couvre-chefs en classe (cassquette, voile, chapeau...), ce qui est une marque de politesse élémentaire envers l'enseignant. Quelle idée de se compliquer la vie !!<br /> <br /> <br /> Supposons la question de la défintion tranchée.<br /> Beaucoup de pays européens ne sont pas laïcs (ni au sens français, ni à aucun autre). D'autres en ont une conception moins "laïcarde". Est-ce forcément une tare ? Comment vouloir notre conception dans la constitution ?<br /> (Je ne parle pas de la Turquie, qui n'est laïque qu'envers l'Islam, et est carrément discriminatoire envers les autres) Il existe beaucoup de pays laIcs qui sont qui sont ou ont été des dictatures. Le critère essentiel n'est-il pas la démocratie ?<br /> <br /> Il existe un article qui défend la pérénnité des accords passés entre les états et les églises. Pourquoi pas ? D'autres lobbys on fait de même et les articles spécifiques ou dérogatoires pullulent dans le texte de la contitution. Une référence à l'héritage chrétien ne m'aurait pas choqué (à condition de mentionner également les apports de la pensée grecque, du juridisme romain, de la philosophie des lumières). L'héritage n'interdit pas le devoir d'inventaire, et aurait fourni une identité plus forte à l'ensemble européen, en rappelant l'histoire commune.<br />
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H
Toute cette problématique vient d'un problème de fond plus important. <br /> Veut-on être Européen ou non ?<br /> <br /> Veut-on garder un Etat national ou multi-régional unique et différente ou acquérir une supra nationalité ?<br /> <br /> La supra-nationalité demande une méthodologie de pensée qui s'écarte du national. <br /> <br /> La base de cette constitution se veut un socle de base commun permettant au pays de moduler ses exigences en fonction de la réalité de chaque territoire. <br /> <br /> Il n'est pas possible de constituer un socle commun en inscrivant des principes trop particuliers de l'une ou l'autre communauté. Le tout est de voir si ces principes peuvent trouver place sur ce socle commun.<br /> <br /> Je ne suis pas persuadé que cela soit impossible. <br /> Ce qui fait progresser l'être humain c'est sa faculté d'adaptation aux nouvelles réalités. <br /> A lui d'être vigilant afin de voir si le chemin emprunté est souhaitable.<br /> <br /> L'erreur serait de confondre les concepts d'adaptabilité et de vigilance avec celui de refus et de replis aux changements...<br /> <br /> La laicité en France comme ici en Belgique ne sera pas la même dans 5 ans, 10 ans ou 20 ans, elle bougera, elle évoluera.. Le tout est de savoir dans quel cadre on veut qu'elle s'adapte.. National touchant une fraction de communauté sur le territoire Européen ou supra national sur l'ensemble du continent<br /> <br /> Et la on touche à la problématique de l'éducation et des expériences de chacun d'entre nous qui nous place face à deux alternatives <br /> <br /> - Dire que l'on sera plus fort si on reste dans un contexte national et que le danger vient de l'extérieur <br /> <br /> - Dire que l'on sera plus fort dans l'union et la convergence des intérêts et que le danger vient de la division issue du nationalisme et du repli identitaire..<br /> <br /> Cela peut entrainer d'interminables discussions ;-)<br /> Le tout est peut être de se dire que tout repose sur un équilibre , un effort de médiation et que c'est à nous d'y oeuvrer en ne prenant pas des axes de réflexions trop intransigeants<br />
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